Le Loup-Garou

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Ou la légende de celui qui « court le loup-garou »

Les histoires de loups-garous font toutes référence à la même croyance : celui qui ne fait pas ses pâques sept ans de suite se voit métamorphosé en loup féroce dont les yeux rouges flamboient pour la durée de la nuit. Quand vient le jour, le mécréant reprend forme humaine : pour le délivrer de ce sort il faut lui tirer du sang. Il est dit de quelqu’un qui subit cette transformation qu’il « court le loup-garou ».

Adapté de contes populaires transmis par Wenceslas-Eugène Dick (1848-1919) et Pamphile Lemay (1837-1918).



Dans le village et les alentours tout le monde savait ce qu’était un loup-garou même si la plupart des paroissiens n’en avaient jamais vu. Les farauds avaient beau crâner parfois quand ils avaient bien bu, et rire de ces « histoires de peur » racontées par les vieilles, quand il s’agissait du loup-garou, un petit frisson leur parcourait l’échine. Et sans le dire, des hommes et des jeunes gens, rentrant la nuit d’une veillée dans un village voisin, évitaient les fermes où veillaient des chiens noirs. On n’était jamais trop sûr…

Aussi les parents surveillaient les jeunes qui dansaient dans les veillées, les filles surtout, de crainte qu’elles ne s’amourachent d’un « bambocheur* », d’un garçon qui risquait sa vie éternelle en blasphémant, et pire : en négligeant de faire ses pâques !

Les pratiques religieuses tenaient une grande place dans la vie des gens et les curés ne se gênaient pas pour promettre l’enfer aux hommes et aux femmes qui négligeaient leurs devoirs de religion. Et pourtant, un jour Firmin Jambette eut l’occasion de voir de près un loup-garou. Ce fut à l’occasion d’un mariage.

Dans le village, une jeune fille nommée Catherine Miquelon était arrivée à l’âge de se marier. Les prétendants ne manquaient pas.

Et voici que, pendant le carnaval, elle assista avec ses parents à une fête de famille chez des parents de l’autre côté du fleuve.
Gravure – Le loup-Garou

Et là, elle reçut les attentions d’un jeune homme de Cap-Santé, un garçon du nom de Misael, qui la fit danser dix fois plutôt qu’une. Lors du réveillon, assis en face d’elle, il lui proposa :

– Après la fête, si vous le voulez bien, je vous raccompagnerai chez vous. J’ai un beau petit cheval bai et ma carriole fraîchement repeinte.

Catherine donna son accord en ajoutant :

– Si mes parents le veulent bien, je viendrai avec vous.

Et la fête finie, la carriole blanche attelée au beau petit cheval bai suivit les autres qui traversaient le fleuve sur le pont de glace. La route était balisée d’épinettes* et la glace était épaisse. Et le cheval connaissait son chemin si bien que Misael avait tout le loisir de courtiser la belle Catherine et de la protéger du vent avec la grosse peau d’ours. Il fallait entendre, en plus du son des grelots de cuivre de l’attelage, le trot rapide des chevaux et le chant des lisses d’acier sur la route sonore. Le voyage sur le fleuve ne parut pas long et comme l’époque était aux réjouissances au milieu du carême, Misael resta à la ferme pour enterrer le mardi gras avec sa nouvelle amie. C’est à la veillée que Firmin Jambette rencontra le « nouveau » et devint son ami.

Et au bout d’un an, ne soyons pas surpris, on annonça les fiançailles de Catherine et de Misael.

Nous étions donc arrivés à la veille du mariage. Le troisième ban avait été publié du haut de la chaire. Le promis était arrivé chez sa future avec son garçon d’honneur, son père et plusieurs de ses amis. Chacun se disputait le plaisir de les héberger. Ils commencèrent par célébrer la mariée et se rendirent donc, le violoneux en tête, chez le père Miquelon. Ils venaient dire un tendre adieu à la jeune fille et lui faire des souhaits qui jetteraient un peu de trouble dans son cœur ! Les noces allaient être joyeuses : elles commençaient si bien ! Les violons vibraient sous le crin rude des archets. Les danses faisaient entendre au loin leurs mouvements rythmés comme si les pieds retombant en mesure sonnaient comme les fléaux des batteurs de grain. Or, pendant que le rire s’épanouissait comme un rayonnement sur les figures animées et que les refrains allègres se croisaient comme des fusées dans l’atmosphère chaude, le premier coup de minuit sonna. Le « marié » s’esquiva sournoisement. Il sortit de la maison.

Minuit ! C’était l’heure du départ. Les violons se turent. Le garçon d’honneur s’avança alors dans la foule et demanda :

– Le marié est-il ici ? Il faut qu’il me suive : il est encore mon prisonnier. Demain une jolie fille le délivrera.

Ce fut alors un éclat de rire. Puis, après un moment, l’un des convives dit qu’il l’avait vu sortir, tête nue, au coup de minuit, par la porte de derrière.

On attendit quelques instants puis le garçon d’honneur entrouvrit la porte et jeta un coup d’œil au dehors. Il ne vit personne. Il sortit. Au bout d’un quart d’heure, il revint, seul.

– C’est singulier, remarqua-t-il.

– L’avez-vous appelé ? demanda Firmin.

– Oui, mais sans succès comme vous le voyez.
Catherine, la future, devenait inquiète.

– Il va rentrer, disait-on. Il ne peut rien lui arriver de fâcheux la veille de ses noces ! Et en plus, il est sorti sans chapeau !

– Qui sait ? un étourdissement … une chute…

Tous les hommes se mirent à chercher. Ils cherchèrent dans la grange, sur le foin, dans la tasserie*, dans les crèches, partout. Une heure sonna et Misael n’était pas revenu. Des femmes se mirent à pleurer. Catherine était pâle et une horrible angoisse lui serrait le cœur. Firmin, qui cherchait son ami dans une remise, pensa soudain qu’il était peut-être allé à l’écurie où se trouvait le jeune cheval bai dont il était si fier. Il s’y rendit et comme il levait le crochet de fer qui tenait la porte fermée il entendit marcher derrière lui sur la neige. Il crut d’abord que c’était quelqu’un de la noce. Il se retourna pour l’interpeller. Et dans la noirceur que le sol couvert de neige éclairait un peu, il vit venir vers lui une bête de la taille d’un gros chien. Elle était noire avec des yeux rouges flamboyants qui éclairaient comme des lanternes. Il resta là, figé de peur, incapable de bouger.

L’animal s’avançait vers lui et le regardait. Puis, il ouvrit sa gueule et montra des crocs menaçants. Firmin ressentait une peur épouvantable ; il se dit qu’il allait être dévoré par ce loup affamé et que c’en était fait de sa vie.

Mais l’instinct de conservation lui revint tout à coup ; il fit sauter le crochet de fer et entra dans l’écurie. Le loup entra à sa suite. Firmin fit le signe de la croix et, malgré sa peur, il sortit son couteau de sa poche et s’apprêta à défendre sa vie, coûte que coûte.

L’animal se dressa et lui mit ses pattes velues sur ses épaules tandis qu’il allongeait, comme pour le mordre, son museau pointu d’où s’exhalait un souffle brûlant. Firmin frappa. Le couteau atteignit l’épaule du loup et fit couler le sang. Aussitôt la bête disparut et un homme blessé à l’épaule surgit on ne sait d’où.

– Vous m’avez délivré, fit l’homme.

Et à ce moment, Firmin reconnut Misael !

– Comment, Misael, c’est vous ?

– Oh ! n’en dites rien, s’il vous plaît !

– Vous courez le loup-garou ? Qui aurait pensé cela ! s’écria Firmin.

Et, reprenant ses esprits, il pensa à la noce, à Catherine. Allait-elle donc épouser un mécréant qui n’avait pas fait ses pâques depuis plus de sept ans ? Il ne savait plus quoi faire et que penser quand Misael dit à voix basse :

– Je vais aller à confesse demain, je le jure. Ne dites rien, je promets de changer de vie. Je serai un bon chrétien à l’avenir.

– Le jurez-vous ? fit Firmin.

– Je le jure !

– Si vous ne tenez point votre parole, je dirai tout ! dit Firmin. Et le mariage n’aura pas lieu.

– C’est promis.

Pendant ce temps, dans la maison du père Miquelon, la plupart des hommes étaient rentrés. Ils causaient à voix basse comme auprès d’un mourant. Tout à coup, la porte s’ouvrit et le « marié » parut. Il était livide. Du sang coulait le long de son bras et tombait goutte à goutte du bout de ses doigts glacés. Firmin le suivait sans dire un mot avec un visage blême et l’air hébété d’un homme qui ne sait pas s’il dort ou s’il veille.

– D’où viens-tu, Misael ? Que t’est-il donc arrivé ? demanda le garçon d’honneur.
Assez gauchement, il dit :

– J’avais senti un malaise et je suis sorti pensant que l’air froid me ferait du bien. Je suis tombé sur la glace et me suis blessé à l’épaule. J’ai dû perdre connaissance…

Firmin le regardait avec des yeux animés. Il laissait voir, par des signes de tête et des haussements d’épaules, qu’il en connaissait long. Mais il ne dit rien. On pansa la blessure. On aurait dit un coup de couteau. Il y a des glaçons qui tranchent comme un poignard.

On but une dernière rasade et chacun alla se coucher.

Le lendemain les cloches carillonnèrent pour le mariage de Catherine et Misael. Avant de se présenter à l’autel, Misael passa par le confessionnal sous l’escorte de Firmin. Il y resta longtemps.

Ce fut une belle noce. Tout le monde dansa à la santé des nouveaux époux. Et Firmin Jambette garda son secret pour lui tout au long de sa vie. Ce n’est que sur son lit de mort qu’il raconta cette histoire de loup-garou.


Cécile Gagnon, Extrait de :Mille ans de contes
En 2006, après une discussion avec Madame Cécile Gagnon, cette dernière a acceptée que Dark Stories partage 9 de ses histoires, tirées de l’ouvrage Mille ans de conte. Ces légendes sont: Le fantôme de l’avare, Les forges du Saint-Maurice, Le beau danseur, La chasse-Galerie, Le loup-garou, Le sorcier du Saguenay, Le trésor du buttereau et La tuque percée. Reproduction totale ou partielle interdite sur quelque support que ce soit sans l’autorisation de l’auteur.

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