La légende du Rocher Panet

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L’intriguante histoire du rocher de L’Islet-sur-Mer


À L’Islet-sur-Mer, charmant petit village de la région Chaudière-Appalaches situé sur la rive sud du St-Laurent existent plusieurs légendes. Tout le monde là-bas peut vous les raconter, on les connaît par coeur. Celle du rochet Panet est sans contredit la plus populaire.

Et d’abord, qu’est-ce donc que le rocher Panet?

C’est une petite montagne dont seul le sommet émerge. Une toute petite île en fait, avec ses rochers, une source. Quand la marée monte, elle disparaît presque. C’est vraiment peu de chose, mais ce peu de chose a sa légende, qui est peut-être une histoire. Cette légende a été écrite. M. J.T. Jemmat la raconte dans une brochurette avec tellement d’enthousiasme et de poésie que je n’ai pu me résigner à vous la raconter à ma façon. J’aurais l’impression de la dénaturer. Aussi voici cette légende du rochet Panet telle que la raconte ce monsieur.



Une misérable dont la légende a étouffé le nom et la honte, avait osé vendre au démon, en échange de déshonorantes passions, son âme immortelle, et ses éternelles félicités. L’esprit impur ne parut pas satisfait du marché; il voulut aussi posséder le corps de son infortunée victime. Abusant de sa puissance, son infernale malice la jeta sur le rocher qui ne présentait pas l’aspect triste d’aujourd’hui: on eut dit une émeraude flottant sur les ondes, étalant la verdeur des arbrisseaux et les teintes de ses fleurs. Mais sitôt que le pied maudit la vint toucher, les corolles se replièrent flétries, les arbrisseaux périrent desséchés!

Le rochet Panet


Depuis plusieurs semaines, semaines d’angoisse et d’épouvante, elle était là, cheveux épars, secouant des bras noircis, clamant plus fort que les vagues. Souvent dans l’exaltation et les crises de désespoir, la malheureuse se précipitait éperdue au milieu des flots, et les flots effrayés la remettaient soudain sur son rocher et s’enfuyaient d’horreur!

La paroisse entière fut le témoin atterré de ces scènes lugubres; nul ne les pouvait envisager sans frémissement, et quelques-uns moururent de convulsions de terreur. Les mères défendaient aux enfants de regarder le rocher maudit et les grandes personnes se signaient à son aspect. Le saint Curé, lui, paraissait seul ne pas savoir le fait, ni s’en émouvoir; mais dans son intention, il suppliait le ciel qu’un si exemplaire châtiment vint enraciner au fond des cœurs la répulsion et la haine du vice ignominieux.

Cependant, un jour, un groupe consterné accourut le conjurer de rendre la paix au village, en adjurant le diable de livrer sa victime et de retourner à son éternel supplice. Un instant le pasteur se recueille, lève au ciel des yeux calmes qui s’emplissent de larmes; puis joignant ses mains longues et décharnées: « J’y vais, mes enfants, dit-il; mais vous, priez, priez encore, priez toujours! » À ces mots il s’embarqua sur les vagues houleuses, guidant lui-même son esquif.

Les paroissiens échelonnés en longue file sur la rive, le front dans le sable, récitaient avec ferveur les psaumes de la pénitence. En voyant approcher d’elle la barque, la malheureuse se prit à se tordre sur le roc, poussant des hurlements à faire peur et pitié à la fois. Le prêtre cependant avait laissé l’embarcation et, pieds nus, lentement gravissait le rocher, lorsque soudain il se voit en face du hideux personnage, à l’œil enflammé, à la respiration entrecoupée; une main se crispait dans sa chevelure humide, l’autre, d’un geste menaçant montrait les flots en courroux; la lutte allait s’engager entre l’ange de Dieu et Satan invisible.


La peur circule à travers les rangs, au rivage. Par un de ces pressentiments qui lui sont habituels, le saint vieillard en est averti, et, se retournant vers ses fils, il trace un long signe de croix qui fait rugir la possédée mais rend aux enfants la confiance: ils se remettent à prier.

Le prêtre aussitôt récite avec force les foudroyantes formules de l’exorcisme auxquelles le diable terrorisé se voit contraint d’obéir en maudissant. Cette fois, il se décide pourtant à la résistance, et une scène terrible se déroule sur le rocher qui tremble d’abord, puis bondit comme un vaisseau qui va sombrer; d’affreux hurlements échappent de tous les autres, et l’infortunée, se frappant la tête contre les pierres, vomit des propos d’enfer; quand tout à coup elle disparaît au sein des flots amoncelés. Aussitôt un énorme nuage voile le ciel de noir, le tonnerre roule les échos de sa grande voix, et les éclairs agitent dans les nues des épées de feu.

Ô Dieu! venez à notre aide; Seigneur! hâtez-vous de nous secourir, criait la foule du rivage: Ô Christ, qui avez délivré Madeleine des sept démons qui tenaient son âme captive, écoutez ma prière, soupirait le blanc vieillard sur le rocher Panet.

L’heure est à l’angoisse commune, mais le ciel exauce les vœux. Dieu, par un prodige, vient fortifier l’espérance de son serviteur. Le roc, s’amollissant comme l’argile, garde l’empreinte de son pied droit, et, au même lieu, jaillit une source pure et intarissable.

L’âme de l’apôtre, touchée d’une main invisible, se sent frémir et est inondée de douceur: Seigneur, vous lui ôterez son cœur de pierre pour lui en donner un qui soit docile; vous ouvrirez dans ses yeux la source des saintes larmes qui appellent le pardon, et son pied s’affermira dans vos voies.

Aux accents de la prière la rosée descend des cieux. Soudain une vague écumante jette aux pieds du prêtre le corps de la jeune fille. A-t-elle péri? Non, non! Un frisson secoue les membres, les paupières s’ouvrent toutes grandes et le regard s’attache au bienfaiteur; quel regard! il se baigne d’une gratitude infinie! Heureuse, elle se relève vivement et murmure une prière de foi et d’amour. Tandis que le prêtre baisse sa haute stature, et que ses cheveux blancs ombragent comme un voile pudique la tête de la pécheresse, elle fait les aveux du repentir. Aux premières larmes qui jaillissent de ce cœur renouvelé, le ciel reprend ses teintes d’azur, le soleil déverse des gerbes lumineuses, et le rocher et les deux personnages paraissent, comme nimbés d’or: les anges voient la main du prêtre se poser pour effacer les dernières taches d’une honte qui n’est plus.

Là-bas, sur la rive, les larmes coulaient réconfortantes. Et lorsque la lionne rugissante, devenue brebis docile, se mit à suivre pas à pas le pasteur, un long cri de triomphante admiration jaillissant de toutes les poitrines, alla expirer jusqu’au rocher Panet.

Un siècle a passé, et les paroissiens de L’Islet-sur-Mer, sauvegardent de l’oubli, dans un souvenir fait de respect et d’admiration, la vie et l’œuvre du héros de ce drame. Sa mémoire survit dans l’appellation du rocher qu’ils vous montrent: le Rocher Panet.

Ô prodige! Le touriste aperçoit encore la mystérieuse empreinte; sa main puise à la source qui n’a pas tari: est-ce une attestation d’en haut en faveur du saint Curé? Si la foi antique semble trop crédule, n’est-elle pas la sève qui alimente dans les foyers chrétiens, la simplicité des mœurs pures, la verdeur des pratiques religieuses, la floraison des vertus, la maturité des oeuvres charitables? Que Dieu protège et développe une foi vigoureuse dans ces âmes chrétiennes, tendres et fortes! Que leur piété place encore, dans un coin de la plus belle armoire, à côté de l’Évangile et de l’Imitation, l’urne traditionnelle: Eau du Rocher Panet !


J.T. Jemmat, La Patrie, Samedi 15 juin 1907, p.18

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