La célèbre veuve noire du Québec
Tout le petit village de Saint-Vallier, à quelques vingt milles plus bas de Saint-Joseph de Lévis, s’était rassemblé à l’église paroissiale, en 1749, pour célébrer les noces de la jeune et belle Marie-Josephte Corriveau. En cette belle journée de printemps, Marie-Josephte prenait pour époux un jeune fermier, beau et riche du nom de Charles Bouchard. Leur mariage dura onze ans et Marie-Josephte n’eut aucun enfant.
Le matin du 17 avril 1760, les voisins virent arriver la belle du village, terrorisée, échevelée et hors d’elle-même. Elle raconta alors que ce matin-là, elle avait découvert son mari sans vie dans le lit. La douleur de la jeune veuve semblait si réelle que personne ne se soupçonna de rien… Cependant, les gens du village se sont mis à jaser lorsqu’ils virent la belle Corriveau, trois mois seulement après la mort de son premier mari, prendre pour époux en secondes noces un dénommé Louis Dodier. Les jours passèrent et les soupçons s’effacèrent peu à peu. Jusqu’au jour où, le matin du 27 janvier 1763, on trouva le corps de Louis Dodier dans son écurie, presque sous les pieds de son cheval, le crâne fracassé.
Cette fois, la justice s’en mêla. L’enquête rapporta les faits suivants : Louis Dodier n’avait pas été frappé par les crampons de son cheval, mais bien par une fourche de fer qui fut retrouvée près de son corps, encore maculée de sang. Les enquêteurs exhumèrent même le corps du premier mari pour découvrir que sa mort avait dû être causée par du plomb fondu qu’on lui aurait versé dans les oreilles, pendant son sommeil. Les preuves s’accumulèrent et les gens du village n’eurent plus l’ombre d’un doute de la culpabilité de Marie-Josephte Corriveau. Le procès eut lieu devant une cour martiale, le seul tribunal qui existait alors dans le pays. Durant le procès, alors qu’une jeune femme au nom d’Isabelle Sylvain s’apprêtait à faire son témoignage, un homme aux cheveux blancs se leva brusquement et s’avança vers les juges en disant : – Arrêtez messieurs ! Ne condamnez pas une innocente, c’est moi qui aie tué Louis Dodier ! Fondant en larmes, il rajouta : – Je suis le seul coupable ; faites de moi ce que vous voudrez !
C’était le père de Marie-Josephte Corriveau, Joseph Corriveau, qui venait de se sacrifier dans l’espoir de sauver la tête de sa fille adorée. La seule personne qui ne sembla pas émue durant ce procès fut la condamnée elle-même : elle accepta froidement le sacrifice de son père, et laissa sans protester la sentence suprême sur la tête de celui-ci.
Le 10 avril 1763, Joseph Corriveau fut alors condamné à être pendu pour le meurtre de Louis Dodier. Quant à elle, Marie-Josephte Corriveau fut condamnée à recevoir soixante coups de fouet à neuf lanières, sur le dos nu, à trois lieux différents : sous l’échafaud, sur la place du marché de Québec et dans la paroisse de Saint-Vallier, de même qu’à être marquée d’un M à la main gauche, au fer rouge, pour complicité au meurtre de son mari. On emmena donc Joseph Corriveau en prison où il reçut la confession par le supérieur des jésuites, à Québec, un révérend père du nom de Glapion. Après avoir reçu sa confession, le bon chrétien Corriveau pris conscience qu’il pouvait bien sacrifier sa vie pour sauver sa fille, mais qu’il ne pouvait sacrifier son âme. Il avoua donc tout au révérend et la vérité fut dévoilée aux autorités.
Un nouveau procès eu donc lieu le 15 avril 1763, mais cette fois-ci, personne ne vint au secours de la Corriveau. Elle fut exécutée à la manière ordinaire, pendue sur les Plaines d’Abraham. Après l’exécution, on forgea sur le cadavre une cage de fer que l’on suspendit sur la Pointe Lévis, croisement des quatre routes principales à l’époque, où l’on retrouve aujourd’hui le monument de Tempérance de St-Joseph de Lévis. Cette histoire fut le sujet de plusieurs rumeurs aussi lugubres les unes que les autres. On prétendait que la Corriveau descendait de sa potence, la nuit, et suivait les voyageurs attardés. Quand l’obscurité tombait, elle s’enfonçait dans le cimetière pour assouvir son appétit à même les tombes nouvellement fermées. Un maléfice régnait sur la route où les passants qui s’arrêtaient trop longtemps étaient victimes d’accidents fréquents, jusqu’au jour où un prêtre conjura ce sort. On voyait des fantômes, on entendait la cage grincer du haut de l’arbre tout en voyant des monstres et des loups-garous demander la Corriveau en mariage…
Un bon soir, alors que quelques gens du village moins superstitieux en avaient assez, ils ont descendu la cage de la Corriveau pour l’enterrer dans un espace réservé, dans le cimetière à côté de l’église. Ce n’est qu’en 1830, alors qu’on agrandissait le cimetière, qu’on découvrit la vieille cage de la Corriveau. Aujourd’hui, on retrouve la cage de la Corriveau au Boston Museum, dans une grande vitrine verticale, où une petite pancarte indique discrètement : from Quebec.
En ce qui concerne la version de la légende où la Corriveau aurait tué ses sept maris, voici comment elle aurait entrepris ces massacres sans merci. Selon la légende, la Corriveau aurait donné de l’eau d’endormitoire à son premier mari afin de l’étourdir pour ensuite placer un oreiller sur sa tête et s’asseoir dessus. Le deuxième mari, alors qu’il dormait dans un lit au grenier, fut assassiné par une corde autour de son cou que le cheval tira de l’autre bout de la fenêtre (forme de pendaison). La Corriveau empoisonna son troisième mari avec une potion nommée « vert de Paris » qu’elle lui donna alors qu’il avait simplement demandé une simple tisane pour guérir son rhume. Le quatrième mari mourut d’un liquide chaud, de l’étain fondu, versé dans son oreille pendant son sommeil. Le cinquième mari fut assassiné d’un violent coup (de hache, probablement) derrière la tête alors qu’il récitait ses prières. La Corriveau tua son sixième mari avec son alène (un genre de gros poinçon) et la lui passa à travers le ventre. Le septième mari fut assassiné en recevant un énorme coup de fourche à fumier sur la tête.