Chung Ling Soo – Une vie sacrifiée au spectacle
Le 23 mars 1918, l’illusionniste Chung Ling Soo, « le merveilleux prestidigitateur chinois », donne une représentation dans un théâtre de Londres. Le spectacle, qui l’a rendu célèbre, consiste à échapper aux balles d’un peloton d’exécution.
Une petite troupe d’assistants, habillés en Boxers (les nationalistes chinois qui se rebellèrent contre la domination étrangère en 1900), arrive au pas de marche sur la scène. Vêtu de somptueux habits orientaux, Soo invite deux membres du public à venir inspecter une paire d’anciens fusils que l’on charge par le canon. Pendant ce temps, la femme de Soo, Suee Seen, demande à deux personnes d’inscrirent à l’aide de leurs ongles leurs initiales sur deux balles de plomb. Puis elle les place dans un gobelet et les rapporte sur la scène.
Après avoir inspecté le chargement des fusils, les deux spectateurs volontaires serrent la main de Soo et retournent à leurs places. Puis le prestidigitateur place une assiette de porcelaine contre sa poitrine ; deux de ses assistants s’avancent, prennent les fusils, épaulent et visent le magicien. Au signal, ils font feu.
Miracle en l’air
Lors de représentations antérieures, il semblait que Soo arrêtait miraculeusement les balles en plein vol en les attrapant sur l’assiette. Il les offrait ensuite au public pour qu’il les identifie. Mais cette fois-ci, les choses se passent différemment.
Les assistants font feu, et le prestidigitateur s’effondre sur la scène. Le sang coule d’une blessure de balle à la poitrine. On l’emmène d’urgence à l’hôpital; le lendemain, il est mort. La fin tragique de Soo fait les gros titres des journaux à sensation. Petit à petit, des rumeurs se répandent selon laquelle il aurait été assassiné, ou même qu’il se serait ; les balles auraient mystérieusement disparu. Mais cette fois, la vérité est bien plus que banale.
Lors de l’enquête, Suee Seen explique que son mari cachait toujours les balles marquées d’initiales dans une main : une fois les coups partis, il les présentait au public comme s’il les avait attrapées au vol. En fait, d’autres balles identiques étaient placées dans le canon des fusils; un mécanisme secret les empêchait d’être tirées. Son mari n’avait jamais permis à quiconque d’inspecter les armes; il était le seul à connaître leur fonctionnement.
On convoque un armurier expert, Robert Churchill, et c’est lui qui révèle pour la première fois le secret du numéro de bravoure de Soo. Le canon de chaque fusil est bouché, rendant impossible l’allumage de la charge de poudre. L’amorce est détournée dans le refouloir en dessous du canon, où elle allume une charge de poudre inoffensive que Soo y a placée secrètement.
L’étincelle fatale
En cette soirée fatidique du 23 mars, un des fusils est si usé qu’une petite quantité de poudre entre en contact avec la capsule de détonation. Quand le tireur appuie sur la gâchette, l’étincelle allume en même temps la charge à blanc du refouloir et la charge mortelle à l’intérieur du canon. La balle transperce alors le corps du magicien; la police la retrouvera plus tard sur la scène. Le coroner évalue toutes les données de l’affaire et conclut qu’il s’agit d’une mort accidentelle.
Chung Ling Soo n’est pas la première victime du numéro d’interception des balles. Au moins dix illusionnistes sont déjà morts en présentant ce numéro sous diverses formes, et la confrérie des magiciens reconnaît unanimement ses dangers. Le célèbre Harry Houdini a autrefois averti Soo :
« Faite attention avec ce numéro car votre méthode est assez risquée. »
Chung Ling Soo a cru en sa chance juste une fois de trop.
Extrait: Facts and fallacies ( Sélection du Reader’s Digest ) 1988 p. 398 – 399