Une légende amérindienne de Percé
La légende du Prisonnier du Rocher est une légende micmaque provenant de la Gaspésie, plus précisément de la région de Percé. Le texte suivant est une adaptation libre de cette légende amérindienne, écrite par le naturaliste canadien Claude Melançon et présenté dans la revue mensuelle « Mon magazine » de mai 1926.
Il y avait une fois — il y a de cela des lunes et des lunes, une petite indienne appelée Mejiga, la Simple. Son père et sa mère avaient été tués dans une malheureuse expédition des Micmacs.
Personne ne s’occupait d’elle, sinon pour lui confier les travaux les plus durs et les plus répugnants et bien qu’elle fût en âge de se marier aucun guerrier ne l’avait encore invitée à s’asseoir à son feu.
Son seul ami était un jeune chef huron prisonnier des Micmacs. Elle allait le voir dans Ia hutte où il était garotté, mais au lieu de prendre part au jeu cruel de ses compagnes qui lui tiraient les cheveux, lui plantaient des arêtes aiguës dans les cuisses et lui versaient des pots d’eau sur la tête en l’appelant : fils de chien! elle lui apportait les meilleurs morceaux de viande qu’on lui abandonnait et les lui glissait dans la bouche quand les gardes avaient le dos tourné.
Cette générosité eut raison du stoïcisme du jeune indien qui la remercia un jour d’un regard. C’était la première fois qu’un homme la regardait sans se moquer ou se détourner. En échange de ce signe de reconnaissance Mejiga donna son amour à Tiotiaké, le huron.
Elle décida de le faire évader et de s’enfuir avec lui… s’il y consentait. Mais avant qu’elle eut adopté un plan le chef de la tribu des Micmacs fit comparaître devant lui le prisonnier.
On approchait de l’équinoxe, temps consacré à l’adoration du soleil, et la loi indienne défendait d’attacher les prisonniers au poteau de torture durant ces jours sacrés. Negum, — c’était le nom du vieux chef, pensa que l’honneur de convertir un huron à son culte valait bien le plaisir de le faire mourir dans les tourments. Il offrit à Tiotiaké de lui rendre à la liberté s’il adorait le soleil, dieu des Micmacs.
— « Le Grand Esprit est mon Dieu », répondit dédaigneusement le jeune huron. Furieux, le vieux Negum ordonna de l’exposer, « devant le dieu à qui il refusait de rendre hommage » et le laisser sans eau et sans nourriture.
On choisit pour lieu du supplice le Rocher Percé, accessible seulement au moyen d’une grossière échelle construite par les indiens qui dénichaient au printemps les œufs de goélands. Il était maintenant prisonnier du rocher.
Bravant la périlleuse ascension, Mejiga rejoignit Tiotiaké, le second soir. Tout était prêt pour l’évasion: un canot avec des vivres attendait au bas de l’échelle.
Que se passa-t-il ce soir-là sur le Rocher ? Le lendemain on trouva sur la grève le corps du prisonnier huron avec un couteau dans le dos. Méjiga était disparue.
La légende veut que le Grand-Esprit, touché de son désespoir, l’ait métamorphosée en goéland pour lui faire oublier la mort tragique de son ami, égorgé sous ses yeux, mais elle, inconsolable passe ses nuits à chercher Tiotiaké en se lamentant.
Claude Mélançon, LÉGENDES DE PERCÉ, Mon magazine, mai 1926, p.09