C’est dans le Livre de Job (41:1–26), immédiatement après la description du Béhémoth, que le Léviathan fait son apparition. Ce livre, rédigé dans un style poétique dense et souvent énigmatique, explore les limites de la condition humaine face à la souffrance, à la justice divine et au mystère cosmique. Il se distingue par sa profondeur théologique et sa richesse symbolique, ce qui en fait l’un des écrits les plus étudiés et débattus de la tradition hébraïque. Ce passage, rédigé en prose poétique, est l’un des plus saisissants de cet ouvrage. Le Léviathan y est décrit comme un monstre marin invincible, dont la puissance défie toute tentative humaine de capture ou de domination.

Lithographie de William Blake (1757–1827)
Le Léviathan y apparaît comme une entité marine colossale, indomptable et effrayante, dont la seule présence suffit à inspirer la terreur. En hébreu, son nom לִוְיָתָן (Livyatan) suggère l’idée d’un enroulement ou d’une spirale, évoquant une créature serpentine aux proportions mythiques. Sa description, à la fois détaillée et métaphorique, dépasse le simple portrait zoologique : elle incarne une force chaotique que seul Dieu peut contenir, soulignant l’impuissance de l’homme face aux puissances de la création.
Voici un extrait tiré du Livre de Job 41:1–10 :
« Peux-tu tirer le Léviathan avec un hameçon, ou lui attacher la langue avec une corde ? Peux-tu lui passer un jonc dans les narines, ou lui percer la mâchoire avec un crochet ? […] Son souffle allume des braises, et sa gueule lance des flammes. Sa force réside dans son cou, et la terreur bondit devant lui. »1
Cette description a inspiré de nombreuses interprétations — certains y voient un crocodile mythifié, d’autres un dragon marin, voire une allégorie du chaos cosmique. Dans la tradition juive, le Léviathan incarne le mal aquatique, opposé au Béhémoth terrestre. Ensemble, ils forment les deux pôles du chaos primitif.
Origines mythiques
Le Léviathan, tout comme le Béhémoth, puise ses racines dans les mythes mésopotamiens. Il évoque Tiamat, la déesse-dragon des eaux salées, affrontée par Marduk dans l’Enuma Elish. Ce combat cosmogonique préfigure les luttes bibliques entre Dieu et les forces du chaos.
Dans le Midrash, le Léviathan est décrit comme une créature féminine, tandis que le Béhémoth est masculin. Dieu aurait séparé les deux pour éviter qu’ils ne se reproduisent et détruisent le monde. À la fin des temps, selon la tradition rabbinique, un combat titanesque les opposera. Le Léviathan transpercera le Béhémoth avec sa nageoire, et sera transpercé en retour par ses cornes. Leur mort simultanée symbolisera la victoire divine sur le chaos.
Cette idée est reprise dans le Baruch syriaque (XXIX, 4)2, aussi appelé Apocalypse de Baruch, et le Quatrième Livre d’Esdras (VI, 47), où il est dit que Dieu créa le Léviathan et le Béhémoth au cinquième jour, les sépara, et les réserva au festin des justes.3

Dans une scène apocalyptique inspirée du Midrash, le Béhémoth surgit des terres, cornes en avant, pour transpercer le Léviathan, monstre des mers. Leurs silhouettes titanesques s’affrontent sous une tempête divine, près d’un village côtier figé par la terreur. Ce duel cosmique, scellé par un double coup fatal, annonce le festin des justes à la fin des temps — où la chair sanctifiée des deux créatures sera servie comme offrande de victoire sur le chaos.
Références : Midrash Bereshit Rabbah, Apocalypse de Baruch (XXIX, 4), IV Esdras 6:47
© 2025 Dark-Stories.com — Tous droits réservés
Le Léviathan dans l’imaginaire populaire et au cinéma
Au-delà des textes sacrés, le Léviathan est devenu un archétype du monstre marin dans la culture populaire. Il incarne la peur des profondeurs, l’inconnu abyssal, et la puissance incontrôlable des océans.
Dans le cinéma de genre, il apparaît sous diverses formes : serpent géant, créature abyssale, ou dragon aquatique. Plusieurs films, comme Sea Beast (2008) ou Kraken: Tentacles of the Deep (2006) s’en inspirent librement. Ces terrifiants monstres marins reprennent les codes du Léviathan biblique : invincibilité, terreur, et lien avec les forces primordiales.
Le Léviathan devient ainsi une figure récurrente dans les récits modernes, oscillant entre mythe, science-fiction et horreur. Il incarne la peur ancestrale de ce qui se cache sous la surface — une gigantesque menace invisible mais omniprésente.


Références:
- Livre de Job 41, traduction liturgique française – AELF
Texte consultable en ligne : aelf.org – Job chapitre 41 - Jean-Daniel Dubois, Apocalypses juives, collection “La Bible – Écrits intertestamentaires”, Éditions du Cerf, 1981
- Quatrième Livre d’Esdras, chapitre VI, verset 47. Traduction française par Gustave Brumet, disponible sur le site Remacle.org – Apocryphes : Quatrième Livre d’Esdras